Énergie nucléaire au Québec : un enjeu de réputation
Le nucléaire a-t-il une bonne ou une mauvaise réputation au Québec? Des bombes atomiques aux accidents et aux déchets radioactifs, le nucléaire a fait trembler d’effroi plusieurs générations. Mais à l’ère de la crise climatique, les jeunes voient-ils l’énergie atomique du même œil que leurs parents? Cette interrogation revêt une importance grandissante alors qu’Hydro-Québec envisage un retour de l’énergie nucléaire. Analyse sous l’angle de la réputation.
D’abord, un ballon d’essai de Michael Sabia
Le 31 mai, le gouvernement du Québec a annoncé que Michael Sabia prendrait la tête d’Hydro-Québec. À peine nommé, le nouveau patron a accordé quelques entrevues ciblées et parmi ses messages clés, M. Sabia a répété d’une entrevue à l’autre que le Québec devait considérer diverses options dans le portrait énergétique québécois, notamment une multiplication des petits barrages privés et… le possible retour du nucléaire.
Ceux et celles qui avaient cru jusque-là à une disparition à jamais du nucléaire au Québec, à la suite de la fermeture de Gentilly-2 en 2012, ont dû sursauter…
Sabia a toujours été très habile dans ses communications. Il savait très bien ce qu’il faisait en lançant un ballon d’essai à propos du nucléaire. Ainsi, plutôt que de faire travailler des collègues en cachette sur cet enjeu, il l’a évoqué publiquement. Pourquoi ?
Michael Sabia a parlé du nucléaire afin de permettre de mesurer l’impact dans les médias et, par la suite, dans l’opinion publique.
Sabia a souhaité et obtenu une réaction en chaîne puisque différentes opinions se sont entrechoquées à ce sujet dans les médias, mais sans vagues. Comme l’aurait probablement dit le premier ministre Jacques Parizeau à son époque : « On ne se bat pas dans les autobus à ce sujet ».
Puis, rebelote
En août, à son arrivée officielle en poste, M. Sabia est revenu sur l’enjeu de la filière nucléaire. Il y a eu d’autres réactions, mais pas plus de vagues que quelques semaines auparavant.
Rapidement et sans surprise, le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, a appuyé publiquement M. Sabia sur cet enjeu, affirmant qu’il serait irresponsable de ne pas considérer l’option du nucléaire pour l’avenir.
Un débat planétaire qui se poursuit
Le débat qui se pointe à l’horizon, au Québec, à propos d’un éventuel réinvestissement dans l’énergie nucléaire, est déjà bien amorcé en Europe. Comme ici, la filière nucléaire y a souffert d’une très mauvaise réputation après l’accident de Tchernobyl et, plus récemment, de Fukushima. Ces inquiétudes sont renforcées par les préoccupations persistantes liées à la gestion des déchets nucléaires.
Cependant, au cours des deux dernières décennies, des groupes de pression et plusieurs gouvernements ont persisté à présenter le nucléaire comme un moyen de réduire les émissions de carbone – un moindre mal, quoi ! Au grand dam de groupes écologiques comme Greenpeace qui y voient une stratégie d’écoblanchiment.
Le concept de « compromis nucléaire » a progressivement fait son chemin au Japon, en France et dans certains pays d’Europe de l’Est, dans le but de réduire leur empreinte carbone.
La donne a changé avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie de Poutine. Ce conflit a marqué un tournant majeur dans la perception du nucléaire en Europe. La guerre a restreint l’approvisionnement en énergie en provenance de la Russie et, conséquemment, gravement compromis l’indépendance énergétique du continent. Résultat : une mise en évidence des limites des sources d’énergie renouvelable, en particulier l’éolien.
Comme par hasard, la même année, les membres de l’Union européenne ont officiellement classé le nucléaire comme une source d’énergie «verte», reconnaissant ainsi les investissements dans le nucléaire comme un investissement en énergie durable. Greenpeace ne s’en remet toujours pas !
Et depuis, de nombreux pays européens ont accéléré leurs projets de développement de l’énergie nucléaire. Même le pays de Greta Thunberg a annoncé le mois dernier son retour au nucléaire, et ce, après l’avoir abandonné par référendum en 1980.
Contrairement à cette tendance, l’Allemagne a récemment fermé ses dernières centrales nucléaires, bien que des incertitudes subsistent quant à la manière dont la première puissance européenne assurera son approvisionnement énergétique à l’avenir.
Comment mesurer les enjeux complexes ?
Le nucléaire est un enjeu réactif et complexe, mais stimulant à mesurer puisqu’il comporte de nombreux aspects. En effet, plusieurs organisations prennent position, ce qui génère des gains et des déficits de réputation au bénéfice de celles-ci, de leurs porte-parole officiels (tels M. Sabia et Fitzgibbon) et de l’enjeu lui-même.
Il est possible de connaitre les gains et déficits de réputation d’un enjeu, puis de segmenter les données quantitatives et qualitatives au bénéfice de ceux et celles qui ont pris position dans les médias.
Dans ce cas-ci, comme dans tous ceux dont vous avez la responsabilité, il est possible de connaitre les gains et déficits de réputation :
- sur X et autres plateformes sociales ciblées
- à la radio vs la télévision vs les tablettes vs les quotidiens
- dans les médias francophones vs anglophones
- de jour en jour
- selon les journalistes, les chroniqueurs et les animateurs
Mine de rien, le nucléaire a enregistré jusqu’à maintenant dans les médias québécois, des gains de réputation et des scores de performance positifs. Que feront les « pour » et les « contre » ?
Que faut-il retenir jusqu’à maintenant ?
- Cet été, un possible retour du nucléaire au Québec s’est retrouvé dans l’actualité. Et, il y a fort à parier qu’il y restera parce que de nombreux lobbys « pour » et « contre » tiendront à faire valoir leurs arguments. La preuve ? Greenpeace n’a pas encore pris position !
- Il n’y a pas eu de mobilisation populaire contre cette possibilité. Mais, la situation pourrait changer rapidement si le gouvernement du Québec/Hydro-Québec manifestait une intention de ramener le nucléaire dans le paysage;
- L’enjeu « nucléaire », porté principalement par Michael Sabia, a enregistré des gains de réputation et des scores de performance positifs. Mais, les prochains mois pourraient être remplis de gains et de déficits de réputation.