Les leçons de gestion de « l’Affaire Amira Elghawaby »
À moins de revenir d’un voyage en sous-marin, vous savez qu’il existe maintenant, au Québec et au Canada, une « Affaire Amira Elghawaby ».
Comment résumer cet enjeu de première importance dans l’actualité ?
Le Premier ministre Justin Trudeau a choisi, comme « représentante spéciale du gouvernement du Canada pour lutter contre l’islamophobie », une femme qui a écrit et tenu des propos qui ont à la fois choqué et… réjoui.
L’objectif de cette analyse est le suivant : réfléchir ensemble afin de tirer des leçons de gestion. Parce que, sous l’angle de la réputation, cette affaire est riche en enseignements !
But, objectif et publics cibles
En gestion, il existe un réflexe très – à vrai dire, beaucoup trop – répandu : foncer dans l’action sans se poser quelques questions élémentaires, dont celles-ci :
- Quel est le but véritable d’une décision, et pourquoi ?
- Quelle sera la stratégie – avant d’aller au plan d’action – et pourquoi ?
- Quels seront les publics visés, et pourquoi ?
Il semble évident que le but poursuivi par le Premier ministre Trudeau consistait à démontrer – « coast-to-coast » – une action concrète sur un enjeu sensible. C’est entièrement réussi !
Sa stratégie ? C’est autre chose.
Le PM Trudeau souhaitait obtenir une acceptabilité sociale autour d’une nomination. Son pari est réussi hors-Québec, et raté dans sa nation d’origine.
Là où M. Trudeau a été audacieux, c’est en faisant autant plaisir à un très vaste public hors-Québec ! Mais automatiquement, il a mobilisé – contre lui – l’ensemble de la classe politique francophone au Québec…
Est-ce que son cabinet et lui ont bien lu la sensibilité de cette nomination et… la veille médiatique ? Dans quelle mesure souhaitait-on une autre vague de « Quebec Bashing » ?
Quelques clics auraient suffi pour trouver l’essentiel des propos controversés de Mme Elghawaby, depuis au moins une décennie, à l’endroit du peuple québécois. Comme l’écrivait Patrick Lagacé dans La Presse+ au sujet des propos de Mme Elghawaby : « Il ne faut pas avoir un doctorat d’archiviste, semble-t-il, pour trouver des déclarations qui suintent la généralisation à propos du Québec. »
À moins que… l’approche initialement dure du PM Trudeau, suivie d’un changement de ton à partir du 31 janvier, aient fait partie d’un scénario soigneusement écrit ?
En gestion, les scénarios à risque sont… toujours très risqués, aurait probablement dit Yogi Berra. « Jouons avec des jeux de base », aurait certainement ajouté Claude Ruel !
Et, à propos des publics : on ne peut pas faire abstraction du fait que le Parti libéral du Canada dirige un gouvernement… canadien. L’un et l’autre, entrelacés, visent une réélection après avoir obtenu deux gouvernements minoritaires de suite. Ils doivent donc « faire bouger l’aiguille » des intentions de vote… hors-Québec où, contrairement au Québec, ils sont derrière les conservateurs. Ceci explique cela.
Aussi – et c’est fondamental : au cœur de cette « affaire » se trouve un enjeu d’acceptabilité sociale. Regardons ça de plus près.
Qu’est-ce que l’acceptabilité sociale ?
Selon le site Quebec.ca, « l’acceptabilité sociale est le résultat d’un jugement collectif, d’une opinion collective, à l’égard d’un projet, d’un plan ou d’une politique. »
Quelques lignes plus loin, le site indique : « L’acceptabilité sociale ne se quantifie pas, elle se décrit. »
C’est juste, mais… cette affirmation est incomplète. Parce que, fort heureusement :
L’acceptabilité sociale se mesure !
Tous les sujets délicats peuvent être mesurés.
Les sondages, les groupes de discussion, les audits et l’analyse du contenu des médias traditionnels et sociaux sont parmi les outils de mesure les plus souvent utilisés, puisque très efficaces. Ils répondent à des besoins et à des horizons de temps différents. Les budgets nécessaires le sont aussi.
Ma spécialité, c’est l’analyse du contenu des médias. Alors, regardons cette « affaire » sous l’angle de la réputation, de façon très factuelle :
- Depuis plus d’une semaine, « L’Affaire Amira Elghawaby » a généré continuellement des gains et des déficits de réputation : de jour en jour, et même parfois d’heure en heure. Les tableaux de bord débordent de contenus très instructifs ;
- Tout ce tollé médiatique et social a été réalisé aux bénéfices – favorables, neutres ou défavorables – de nombreux intervenants : « Amira Elghawaby », « Justin Trudeau », « gouvernement du Canada », « gouvernement du Québec », « le Québec », « Yves-François Blanchet », « racisme », etc.;
- Une retombée de presse peut, à la fois, être favorable à Mme Elghawaby, neutre pour l’enjeu « racisme » et défavorable à M. Trudeau. Une autre dans le même média, le même jour, peut générer des gains ou des déficits très différents;
- La tonalité des retombées médiatiques et sociales évolue souvent très rapidement. C’est pourquoi le recours à des échantillonnages représentatifs de la couverture est très utile pour obtenir un portrait évolutif;
Quelques variables sont essentielles à suivre sur une base continue, notamment :
- les gains et les déficits de réputation selon différents bénéfices (ils n’évoluent pas tous au même rythme);
- les gains et les déficits de réputation par marché;
- les scores de performance générés par des analystes et des chroniqueurs, selon différents bénéfices.
En toutes circonstances, mesurer des retombées médiatiques dans différents marchés permet de prendre le pouls – souvent très différent – de l’actualité. Voici une Xe démonstration qu’il existe deux solitudes au Canada :
À retenir
- Tout enjeu le moindrement sensible provoquera une couverture journalistique généralement équilibrée dans les médias traditionnels, et des réactions épidermiques aux extrêmes – les archi-pour et les archi-contre – dans les médias sociaux;
- Peu importe « l’affaire » dont vous auriez la responsabilité en gestion, il faut se concentrer – avant que survienne une crise – sur le jeu de base : but, stratégie, plan d’action, publics cibles;
- Et si, malheureusement, une crise survient… il faut mesurer sur une base régulière et rapide, l’évolution de la tonalité des retombées médiatiques et sociales afin d’apporter les correctifs nécessaires. C’est votre réputation qui est en jeu !