Analyse de presse

Patronat vs syndicats : qui domine ?

Par Pierre Gince, PRP, ARP, FSCRP   |   10 mars 2023

 

Depuis toujours, les associations patronales et les syndicats exercent une influence significative dans la vie socio-politique du Québec. Leurs stratégies et actions sont collées au contexte du moment et orientées vers l’avenir prévisible, en misant sur les enjeux qui touchent plus particulièrement leurs membres.

Sans surprise, ces groupes d’intérêts rivalisent d’imagination afin de « passer leurs messages » – à la fois lors d’innombrables rencontres, sur différentes tribunes et à travers les médias traditionnels et sociaux. La personnalité de leurs dirigeantes et dirigeants génère sans contredit des impacts significatifs ou… minimes.

Débutons par une question : quel est le portrait, à l’approche du printemps 2023 ? Qui domine ?

Réponse : il y a des gagnants et des perdants, tout dépendant l’angle sous lequel on observe les données. C’est la beauté des analyses fines !

Débat entre Julien Lapan, de la FNEEQ-CSN, et Karl Blackburn, du Conseil du patronat du Québec, à l’émission L’Indice McSween.
Source : Télé-Québec

Les associations patronales : plus médiatisées et un plus grand spectre

En 2021 et 2022, ce sont les quatre mêmes associations patronales qui se sont démarquées dans les médias écrits au Québec : la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), le Conseil du patronat (CPQ), la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) et la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ).

À part la CCMM qui a augmenté à peine son important volume de couverture (1481 vs 1402 retombées dans les médias écrits), les trois autres associations patronales choisies y ont enregistré des hausses significatives entre 2021 et 2022 :

  • FCEI : + 538 retombées
  • CPQ : + 511 retombées
  • FCCQ : + 306 retombées

Le changement le plus remarqué provient de la FCEI, où le départ de l’omniprésente Martine Hébert, en 2019, avait sorti l’organisation du « Top 3 » des organisations patronales les plus médiatisées au Québec. Après une période de flottement, c’est François Vincent qui est devenu le principal interlocuteur et qui a replacé la FCEI à l’avant-scène.

Parts de voix de quatre associations patronales au cours des 14 derniers mois.
Source des données du visuel : Cision

Au-delà des données quantitatives, les analyses du contenu des médias regorgent d’une foule de données qualitatives très utiles à la gestion.

Ainsi, l’analyse des données qualitatives du côté patronal fait ressortir à quel point certains enjeux sont communs – la pénurie de main-d’œuvre, par exemple – et dans quelle mesure l’attention des médias est bien différente, d’une organisation à l’autre.

Depuis 14 mois, les quatre organisations patronales ont beaucoup parlé de pénurie de main-d’œuvre dans la presse écrite, mais pas avec la même intensité.
Source des données du visuel : Cision

Ces données peuvent ensuite être segmentées selon les marchés. On y apprendrait quoi ? Qu’une organisation se démarque dans les marchés de Montréal et de l’Estrie, qu’une autre est dominante dans l’Outaouais et relativement absente ailleurs, qu’une autre s’impose à Québec et dans les marchés régionaux uniquement, etc.

Depuis le début de 2023, le CPQ s’est retrouvé au cœur de trois enjeux sur Twitter : les seuils d’immigration (A), l’âge minimal pour la rente de la Régie des rentes du Québec (B) et une loi sur les travailleurs de remplacement (C).
Source des données du visuel : Cision-Brandwatch

Notons aussi que les associations patronales surprennent souvent les médias en abordant des enjeux qui, auparavant, étaient mis en vedette par les syndicats. Deux exemples :

  • le Conseil du patronat a pris position en faveur de la langue française;
  • le président de la FCCQ, Charles Milliard, crée des liens avec le domaine culturel.

Les syndicats sont omniprésents, leurs leaders discrets

Dans l’actualité, les instances syndicales occupent toujours plus de place que les organisations patronales. Il y a deux principales à cela :

  • La première, c’est leur style de gestion axé sur les revendications – notamment lors de conflits de travail. Dans ces cas-là, leurs porte-parole sont beaucoup plus enclins à transmettre leurs points de vue;
  • La seconde raison est liée aux personnalités. Lorsque les centrales syndicales sont dirigées par des gens colorés et charismatiques, elles gagnent généralement en présence et en notoriété – qui parmi les plus vieux a oublié Louis Laberge, de la FTQ ? À l’opposé, certains syndicats dirigés par des gens plus effacés ont contribué à faire glisser sous le radar, la « marque » qui est sous leur responsabilité…

Les syndicats sont toujours plus médiatisés que les associations patronales. CSN vs FCEI : près de trois fois plus !

D’un point de vue quantitatif, la CSN a été légèrement plus médiatisée que la FTQ depuis le 1er janvier 2021. Mais Magali Picard vient à peine d’arriver…
Source des données du visuel : Cision
Voici le type de données que scrutent nos clients : la CSN est première en volume de couverture médiatique, mais ses dirigeantes et dirigeants arrivent au 3e rang. Inversement, la CSQ est première avec ses dirigeantes et dirigeants.
Source du visuel : Mesure Média

Parlant de personnalités… Le style de la nouvelle présidente de la FTQ, Magali Picard, est venu changer rapidement la dynamique des relations de presse des principales centrales syndicales au Québec.

Femme issue des Premières nations, elle fait bien plus que « cocher des cases », selon une expression qui gagne en popularité. Magalie Picard « parle vrai ».

Dès sa première semaine à la présidence de la FTQ, une « Picardmania » a débuté dans les médias !

Il faut dire que Mme Picard est très habile ! Le samedi 25 février dernier, lorsque le Premier ministre Legault a diffusé un message sur Twitter accusant les syndicats de fermeture, elle a rapidement pris la balle au bond. Résultat : elle s’est approprié la voix des syndicats durant tout le week-end et poussé le PM sur la défensive…

Source du visuel : Journal de Montréal

Des alliances qui surprennent et… qui ont du poids

Il y a quelques années à peine, quel aurait été votre choix de réponse la plus probable parmi les deux options suivantes ?

Bien sûr que c’est la première réponse qui aurait été la plus populaire… puisque ces institutions se regardaient de loin et se méfiaient. Aujourd’hui, c’est la deuxième option qui survient de plus en plus, et ce, même si des divergences demeurent.

C’est dans le but de forcer les gouvernements à les écouter davantage que les plus importantes institutions syndicales et patronales parlent de plus en plus d’une même voix.

L’importance de mesurer les données de l’écosystème

Terminons avec l’importance de mesurer les données de tout l’écosystème. Ce qui a passablement changé au cours des dernières années, c’est l’intérêt des organisations à connaitre en détails ce qui fonctionne bien – et moins bien – à travers tout l’écosystème socio-politique québécois. Leurs demandes sont plus précises et exigent des réponses plus étoffées.

Ainsi, les gestionnaires des organisations patronales et syndicales ne veulent plus seulement connaitre les données quantitatives et qualitatives qui les concernent. Ils et elles veulent souvent tout savoir à propos des autres syndicats et associations patronales qui interviennent directement sur les enjeux-clés qui les préoccupent !

À retenir

  • Dans tous les domaines, les organisations et leurs porte-parole visent des objectifs et privilégient des stratégies différentes. C’est donc normal que les résultats soient… différents;
  • Analyser des données quantitatives et qualitatives au premier niveau, c’est bien. Le faire aux deuxième et même troisième niveaux, c’est mieux !