Gestion de crises

Depuis Lac-Mégantic, nous communiquons mieux

Par Pierre Gince, PRP, ARP, FSCRP   |   5 juillet 2023

La catastrophe du Lac-Mégantic a coûté la vie à 47 personnes et a profondément ébranlé toute une communauté. Ce fut aussi un moment marquant dans la gestion des communications au Québec. Une décennie après la tragédie, un constat s’impose : nous avons appris et nous communiquons mieux.

Souvenons-nous à quel point la Montreal, Maine and Atlantic Railway (MMA) avait été mauvaise dans ses communications de crise. Nous étions en juillet 2013 et, pourtant, on se serait cru au siècle précédent. À l’époque du « On en dit le moins possible parce que nos avocats ne veulent pas qu’on parle et la tempête sera oubliée ».

Le 24 juillet, au cœur de la tempête, je brossais dans les pages du Devoir un tableau de la situation ahurissante du point de vue de la communication – une situation engendrée de toutes pièces par le déni, au sein de la MMA, de l’importance d’une communication rapide, honnête et transparente.

Dans tout type de crise, la communication devient – si elle est bien faite – un facteur d’atténuation de la situation vécue, tout en contribuant aux efforts de reconstruction. En revanche, une mauvaise communication risque grandement d’envenimer la crise.

Si quelqu’un a vraiment eu l’impression que la MMA a dit toute la vérité, levez la main !

Capture d'écran d'un article de Forbes au sujet d'Edward Burkhardt
Dès le début de la crise, le réputé magazine Forbes a déploré la gestion de la MMA. Selon Mesure Média, le score de performance de la MMA pour cette retombée médiatique est ici de -125 % sur 200 %. Source du visuel : Forbes.com

Quatre leçons à retenir de 2013

J’ai retenu principalement quatre leçons de cette crise :

  • Une lecture du XXe siècle de la situation par la MMA. Il y avait un écart considérable avec une société rendue au XXIe siècle. C’était vraiment désolant, choquant, déplorable, pitoyable, etc.;
  • L’empathie de Pauline Marois. Très rapidement, la population de Lac-Mégantic et celle de tout le Québec ont compris que la première ministre était aux commandes : d’abord à distance, puis sur les lieux quelques heures plus tard;
  • L’authenticité de Colette Roy-Laroche. L’inexpérience de la mairesse à gérer une crise de cette ampleur a rapidement été comblée par sa présence continuelle et son côté apaisant;
  • La présence de Geneviève Guilbault. À l’époque directrice des communications du Bureau du coroner du Québec, elle a été une porte-parole crédible auprès du public et disponible aux médias.
Entrevue de Geneviève Guilbault en 2013
Geneviève Guilbault en 2013. Selon Mesure Média, le score de performance à son bénéfice est ici de 100 % sur 200 %. Source du visuel : Radio-Canada.ca

Ces excellentes communicatrices ont dégagé une image à la fois de sensibilité et de bonne foi.

Puis, il y a eu une pandémie… 

C’est la même approche qui a été utilisée à partir de 2020 lorsque la pandémie a débuté – cette fois, avec des intervenantes et intervenants différents. En effet, nous avons eu droit à :

  • Une lecture du XXIe siècle au sein du gouvernement du Québec. La cellule de crise – formée du premier ministre, de ministres clés, de conseillers politiques et de stratèges du Secrétariat à la communication gouvernementale – a été très efficace;
  • L’empathie de François Legault. Personne n’a oublié son approche rassurante et « pratico-pratique » lors de ses points de presse de 13 heures qui étaient encore plus écoutés que District 31 !
  • L’authenticité du Dr Horacio Arruda. Malgré quelques dérapages, on ne peut lui reprocher, dans les premières semaines de la crise, ses explications venues du fond du cœur, en direction des nôtres. Par la suite, il a souvent été incompris, au point où un consultant en messages-clés a travaillé avec lui;
Entrevue à TVA du docteur Arruda.
Selon Mesure Média, le score de performance au bénéfice du Dr Arruda est ici de 110 % sur 200 %. Source du visuel : Journal de Québec 
  • La présence de plusieurs spécialistes de la santé. Sortis de l’anonymat, Dre Caroline Quach-Thanh, Dre Mylène Drouin, Dr Luc Boileau, Dr François Marquis, la gestionnaire Sonia Bélanger – devenue ministre – et quelques autres ont vulgarisé des contenus souvent arides et ont su rassurer.

Dans les médias sociaux, de nombreux gérants d’estrade ont pris un malin plaisir à lancer que la communication n’était pas parfaite. Mais, rappelons-nous ceci :

Durant une crise, la situation évolue d’heure en heure, comme un avion qui se construit en plein vol !

Cinq éléments qui ont changé 

Où en sommes-nous, en 2023 ?

Voici cinq observations qui démontrent que le Québec a changé et que les organisations privées et publiques, tout comme les médias, ont évolué : 

  • Les médias sociaux génèrent toujours plus de bruit et de distorsion. À travers du contenu de qualité, tout un chacun peut y véhiculer des éléments tronqués ou carrément faux, en plus d’insulter. Et l’intelligence artificielle n’y a fait que ses premiers pas…
  • Les médias traditionnels n’ont pas dit leur dernier mot. Les sujets qui « font l’actualité » puisent généralement leur origine à la radio, à la télévision ou dans les quotidiens en version tablette ou papier – où, malgré une situation économique difficile, il s’y fait encore du journalisme d’enquête. Les médias sociaux s’abreuvent énormément des médias traditionnels;
  • Les gestionnaires comprennent mieux les communications. Grâce à leurs formations et leurs expériences, ils et elles ont compris la différence entre cette fonction conseil stratégique et le « « tape-à-l’œil », de même que l’importance d’une réputation construite solidement et la valeur ajoutée de la responsabilité sociale;
  • Les avocats font moins de communication. Parce que les gestionnaires comprennent mieux les expertises des uns et des autres, ils et elles circonscrivent souvent mieux les interventions de leurs spécialistes du droit et des communications. Le travail en synergie ne s’en porte que mieux ! Ainsi, cet extrait d’une fable de Jean-Pierre de Florian (1755-1794) demeure d’actualité : « Chacun son métier et les vaches seront bien gardées ».
  • Les stratèges en communication gèrent avec des données. Elle est révolue, l’époque où on entendait : « Les gens du marketing ont des données, nous en com on n’a pas besoin… ». En 2023, les gains et les déficits de réputation des organisations, des marques et des personnalités sont mesurés par des spécialistes de la mesure des médias.

À retenir :

  • Qu’une crise survienne au sein d’une organisation publique ou privée, la recette pour une gestion réussie est la même. Par exemple, dire la vérité disponible et vérifiée, au fur et à mesure;
  • Ceux et celles qui ont encore le réflexe de « jouer à l’autruche » sont de moins en moins nombreux et… crédibles;
  • Gérer, c’est analyser ce qui a le plus d’importance. Or, la réputation est le bien intangible le plus important ! C’est vers des spécialistes qu’il faut se tourner.