Gestion de crises

L’authenticité, les pieds dans l’eau

Par Pierre Gince, PRP, ARP, FSCRP   |   3 mai 2019

 

Plusieurs milliers de Québécois ont les pieds dans l’eau et peinent – entre les sacs de sable – à retrouver leurs esprits et leurs biens.

À travers eux, des politiciens et des porte-parole de plusieurs organisations prêtent main-forte ou les tiennent informés, tentent de se faire rassurants ou… de se faire remarquer.

En regard de cette nouvelle crise, peut-on identifier ce qui fait qu’un porte-parole est efficace ? Ou un élu, nuisible ? Aussi, est-ce que toutes les situations de crise ont des dénominateurs communs ?

J’ai eu envie d’en discuter avec mon collègue Louis Aucoin, spécialiste en gestion de crise.

PIERRE :
Louis, quelle est selon toi « la recette à succès » lorsqu’une crise nécessite que des élus et des porte-parole d’organisations – les corps policiers, la sécurité publique, la Croix-Rouge, etc. – se rendent sur les lieux d’un sinistre ?

LOUIS :
Elle est la même que dans toute situation de crise : il faut que les véritables décideurs soient présents rapidement et démontrent une véritable compassion.

C’est vrai lorsqu’une usine brûle, qu’il y a des mises à pied en milieu de travail ou que des milliers de résidents sont expulsés de leur résidence lorsqu’une digue cède. C’est toujours la base d’une crise bien gérée.

Rappelons-nous des erreurs qui restent présentes dans l’esprit des gens : en 1987, lors du déluge survenu à Montréal, le maire Jean Doré était en voyage à l’étranger plutôt que de venir aux abords de l’autoroute Décarie inondée.

Aussi, on a déjà vu le président Trump se rendre sur les lieux d’un sinistre vêtu en tenue de golf et son épouse tirée à quatre épingles…

« IL EST ESSENTIEL QUE NOTRE MESSAGE PORTE UNIQUEMENT SUR LE PROCESSUS DE LA DÉMARCHE. IL N’Y A AUCUNE PLACE POUR LES INTERPRÉTATIONS, ET L’HEURE N’EST PAS AU BILAN ».
– Louis Aucoin

PIERRE :
Je me souviens que Jean Doré avait justifié son absence en disant : « Je n’irai pas vider des seaux d’eau pour les caméras ».

Mais, ce n’est pas ce que les Montréalais attendaient de lui… Ils voulaient sentir que leur maire était aux commandes et qu’il était présent pour les réconforter. Cette erreur lui a collé à la peau jusqu’à la fin de sa vie.

Cette fois, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, et sa collègue de Sainte-Marthe-sur-le-Lac, Sonia Paulhus – elle-même sinistrée – portaient des bottes de caoutchouc parce qu’elles étaient continuellement les pieds dans l’eau, près de leurs concitoyens.

LOUIS :
Tous le disent : depuis le début des inondations au Québec, le gouvernement a la situation bien en main.

La ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault
SOURCE : RADIO-CANADA.CA

La ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, inspire confiance avec sa présence constante et le ton juste. Et ses collègues députés sont entrés en scène, le week-end dernier, à la fois sur le terrain et dans les médias locaux et sociaux.

De son côté, le Premier ministre François Legault est également sur le terrain, en jeans, et il s’est offert un point de presse « à la Lucien Bouchard », samedi, au siège social d’Hydro-Québec.

PIERRE :
As-tu remarqué, dans différents reportages, que la ministre Guilbault se fait applaudir par les citoyens lorsqu’elle va à leur rencontre ? En 2019, ils sont rares, les femmes et les hommes politiques à qui ça arrive…

La raison est simple : elle dégage l’authenticité qui s’impose.

Souvent, des maires et des ministres arrivent sur les lieux d’un sinistre après avoir enfilé un uniforme trop grand; ça parait qu’ils sont parachutés… Geneviève Guilbault, elle, porte des blouses et des chandails de son ministère qui lui font comme un gant et – c’est le cas de le dire – elle a le profil de l’emploi.

Rappelons-nous qu’à l’occasion des sinistres de L’Isle-Verte et de Lac-Mégantic, Geneviève Guilbault était la porte-parole du Coroner. Déjà, elle se démarquait par son aplomb à travers les porte-parole des organisations privées et publiques.

LOUIS :
Aussi, cette situation déplorable permet à des maires de démontrer leur aplomb.

Je pense en particulier au maire de Gatineau, Maxime Pedneault-Jobin. Il était déjà un excellent communicateur, et les leçons des inondations de 2017 ont permis à sa ville de raffiner son plan de gestion des opérations et l’incontournable volet de la communication.

De plus, son sens de la répartie est à souligner : il ne se gêne pas pour dire aux élus que leur contribution financière ne suffira pas !

Il y a une nouvelle génération de maires aux commandes des villes et municipalités québécoises, c’est rafraichissant.

PIERRE :
À l’opposé, il y a Justin Trudeau…

« JUSTIN TRUDEAU N’AVAIT AUCUNE RAISON D’AMENER SA FAMILLE OÙ IL Y AVAIT URGENCE D’AIDER, DE RASSURER ET D’ÉCOUTER. CE N’ÉTAIT PAS UN ENDROIT POUR PRENDRE DES PHOTOS ».
– Pierre Gince, ARP

En Inde, il était déguisé. Et, le week-end dernier auprès des sinistrés – tiré à quatre épingles pour remplir des sacs de sable en compagnie de son épouse et de ses enfants – sa présence semblait superficielle.

Et, le plus important, c’est que contrairement au Premier ministre François Legault, Justin Trudeau n’avait rien à annoncer pour rassurer les gens.

Parmi toutes les retombées portant sur les inondations, Mesure Média a analysé celle-ci :

  • Journal de Montréal, 30 avril 2019, caricature du jour. Deux volets sans équivoque : l’un illustre le gouvernement Legault aux commandes (écart positif de 171 %), l’autre que le Premier ministre Trudeau est là pour les photos… (écart négatif de – 301 %).

Les élus et les porte-parole ont bien compris que l’époque de la stratégie du silence était révolue. Mais, encore faut-il – et nous le constatons à la lumière des récentes inondations – que la présence sur le terrain se traduise par une communication interpersonnelle basée sur la compassion et qu’elle soit adaptée à chaque situation.

Certes, il en va de la réputation des gouvernements et des organisations, mais – surtout, surtout – des personnes qui ne demandent qu’à obtenir réponses et appuis.

Chaque vendredi, Mesure Média présente le gain de réputation (ou le déficit) enregistré par une marque, une organisation ou une personnalité au cours de la semaine.

Note: Après avoir tenu compte du coût publicitaire avant négociation d’une retombée de presse, nous évaluons différentes variables d’analyse afin d’établir le gain ou le déficit de réputation de la retombée. Le gain ou le déficit de réputation (en dollars) d’une retombée est calculé à partir de plusieurs critères quantitatifs et qualitatifs pondérés, dont le traitement journalistique accordé au message ainsi que les aspects graphiques et visuels.