Gestion de crises

Tiger, les avocats et les communicateurs

Par Pierre Gince, PRP, ARP, FSCRP   |   18 avril 2019

Que vous aimiez ou non le golf, vous savez sans doute que Tiger Woods est un athlète hors du commun qui a payé très cher ses infidélités…

En 2009, la longue liste de femmes qui ont affirmé l’avoir connu intimement n’était pas encore complète que plusieurs de ses commanditaires l’avaient déjà abandonné. Ont suivi des problèmes au bas du corps et une arrestation pour conduite avec facultés affaiblies… qui n’ont pas eu raison de sa détermination à revenir au sommet, dimanche dernier.

Tiger Woods - Vidéo
SOURCE : NIKE

J’ai eu envie de discuter du retour de Tiger Woods à l’avant-scène médiatique avec mon collègue Jean Gosselin afin d’y trouver des leçons de gestion pour les organisations québécoises. Voici l’essentiel de nos propos :

PIERRE :
Jean, qu’est-ce que la victoire de Tiger Woods devrait apprendre à tous les gestionnaires de marques – qu’ils soient en marketing ou en relations publiques ?

« IL NE FAUT JAMAIS CONFONDRE LES FAUTES HUMAINES ET LES GESTES IMPARDONNABLES. »
– Jean Gosselin

JEAN :
Une chose élémentaire : il ne faut jamais confondre les fautes « humaines » et les gestes « impardonnables ». Par fautes « humaines », je veux dire ces gestes qui pourraient arriver à n’importe qui. Même à nous.

Jusqu’à nouvel ordre, l’infidélité dans un couple – qu’elle soit arrivée une fois ou 100 fois – demeure une faute de nature humaine… alors qu’accueillir de jeunes garçons dans notre villa de rêve est de nature criminelle et amorale.

Dans les crises dont les impacts légaux apparaissent importants au premier instant, les dirigeants des organisations ont souvent le réflexe de confier le volant de la gestion de crise à des avocats. Les communicateurs sont alors souvent réduits à de simples porte-parole pour limiter les dégâts…

PIERRE :
Tu as raison. Mais, heureusement, plusieurs cas de succès prouvent qu’il est essentiel que la communication soit au cœur de la stratégie.

Prenons l’exemple de la crise chez Maple Leaf : ce sont d’abord des avocats qui ont donné le ton. C’était du « Pas de commentaires » du matin au soir. Puis, le grand patron a changé de stratégie en prenant la parole et en misant sur des communications bidirectionnelles.

Regardons les parts de marché de Maple Leaf, plusieurs années plus tard : nous avons la preuve qu’en pleine crise, les consommateurs ont eu confiance au président et, par la suite, aux produits redevenus disponibles.

JEAN :
Parce que c’est leur métier de protéger leurs clients d’éventuelles poursuites, les avocats vont habituellement prôner le silence et l’immobilisme – question de ne pas « empirer » la situation.

Ils ont raison dans certains cas – et en particulier quand on pense à l’avenir. Mais, les gestes que l’on pose – ou pas – au début et au cours d’une crise peuvent avoir des effets très favorables ou… dévastateurs.

PIERRE :
Les gestionnaires de Nike ont-ils été audacieux ?

JEAN :
Oui et non. Rappelons-nous qu’en 2009, plusieurs commanditaires avaient abandonné Tiger. Mais Nike lui est resté fidèle. Et selon le classement Forbes 2018, il se classe au 66e rang des célébrités (artistes, sportifs, etc.) les mieux rémunérées avec 43,3M US $.

On ne peut pas douter que les gens de Nike savent compter : si Tiger a continué de véhiculer la marque, c’est que ce fut très payant pour elle, même si la « supposée logique » militait pour un abandon sans appel.

PIERRE :
Mais, en 2009, les gestionnaires des marques Accenture et de Gatorade ont rapidement largué Tiger…

C’est que, parfois, une controverse sert de prétexte pour se débarrasser d’une entente jugée trop onéreuse, moins pertinente, lourde à gérer, trop longue et quoi encore…

« BIEN SOUVENT, LES GESTIONNAIRES DE MARQUES SONT TROP FRILEUX… ET DAVANTAGE BIEN-PENSANTS QUE LE PUBLIC ! »
– Pierre Gince

Mais, bien souvent, les gestionnaires de marques sont trop frileux… et davantage bien-pensants que le public !

JEAN :
Je suis personnellement convaincu que l’amateur de sport est moins catégorique dans la « vraie vie » à propos du dopage sportif que l’indiquent les sondages et les médias.

On ne peut pas dire qu’on est d’accord avec la tricherie, mais… avouons-le : on est prêt à fermer les yeux si ça nous donne un bon spectacle sportif !

PIERRE :
Les Québécois sont prêts à fermer les yeux quand ils sont attachés à des personnalités.

Normand Brathwaite a pu rebondir après avoir été abandonné par le Lait – dont il était le porte-parole publicitaire – après avoir été arrêté pour alcool au volant.

L’immense capital de sympathie qu’il avait engrangé lui a permis de poursuivre sa carrière sans trop de conséquences, en plus d’être longtemps associé à Réno-Dépôt.

Ce n’est pas automatique, mais il y a d’autres cas. Joël Legendre ne s’en est somme toute pas si mal tiré…

JEAN :
Oui. Et selon l’issue du procès – et surtout comment il va préparer et gérer la suite des choses – il n’est pas dit qu’Éric Salvail ne pourra pas revenir à l’avant-scène.

Chaque semaine, Mesure Média commente l’actualité médiatique d’une marque, d’une organisation ou d’une personnalité.