Dominique Ollivier et le « tribunal de l’opinion publique »
Un repas d’huîtres à Paris, devenu mythique, a pratiquement éclipsé l’annonce du nouveau budget de l’administration Plante (347 $ vs 6,6 milliards $), plongeant l’ancienne présidente de l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM), Dominique Ollivier, dans l’indignation générale. Depuis, elle se plaint d’être une victime indue du « tribunal de l’opinion publique ». Qu’en est-il vraiment? Revenons sur « l’Affaire Dominique Ollivier » sous l’angle de la réputation.
Je ne connais madame Ollivier qu’à travers les médias. Je l’ai crue lorsqu’elle a affirmé dans une interview accordée à La Presse+ : « Je n’ai contrevenu à aucune règle, je n’ai rien volé, je n’ai pas détourné de fonds, je n’ai pas fait de cadeaux à des amis. Je n’ai pris aucune initiative de voyages sans un mandat qui ait été validé par l’administration de la Ville. »
Elle a respecté les règles. Soit. Ça passerait peut-être devant un juge au tribunal judiciaire, mais ici l’arbitre ultime est le grand public qui s’attend à une gestion très rigoureuse des fonds publics. Madame Ollivier en a contre ce fameux « tribunal de l’opinion publique » qui – elle a raison – n’a pas de règle de droit. C’est ce qu’elle affirme d’entrée de jeu dans sa lettre ouverte dans La Presse+.
Mais qu’elle le veuille ou non, ce « tribunal de l’opinion publique » existe. Non seulement il existe, mais il est légitime – c’est un principe fondamental de la démocratie que les médias et la population puissent s’exprimer ! Évidemment, au fil du temps – avec une population plus avisée et l’avènement des réseaux sociaux – ce « tribunal » est devenu plus puissant. Plus incisif. Plus lapidaire. Et, sans pitié ni pardon.
C’est au « tribunal de l’opinion publique » que se regroupent les médias et la population dans le but d’engendrer les déficits de réputation qui font chuter les personnalités, les marques et les organisations.
Ainsi, au cours des trois dernières semaines, madame Ollivier semble avoir ignoré ce « tribunal » qui la scrutait à la loupe depuis les révélations du Bureau d’enquête de Québecor sur la gestion de l’OCPM. Elle a manqué de sensibilité envers cette réalité qui l’a finalement rattrapée de manière regrettable.
Une série d’erreurs qui ont amplifié la crise
Le déficit de réputation de madame Ollivier est la conséquence d’une crise qui s’est amplifiée, au lieu d’être gérée efficacement par des stratèges dont c’est la spécialité. Voici quelques-unes de ses erreurs :
- elle a accordé une entrevue de 45 minutes à des journalistes de Québecor – ce qui est beaucoup trop long et risqué. Pas étonnant qu’elle déplore que l’émission J.E. n’ait conservé que « trois clips de quelques secondes » ;
- elle aurait dû démissionner dans la foulée du premier reportage, et ce, tant dans son intérêt que de celui de ses collègues (il était clair que Québecor avait engrangé suffisamment de faits troublants pour la faire tomber, tôt ou tard) ;
- elle a attiré l’attention des médias vers sa gestion de plus en plus questionnée à l’OCPM alors qu’elle s’apprêtait à annoncer… une importante augmentation des taxes municipales ! Toute cette période aurait dû, au contraire, servir à « préparer les esprits » pour justifier cette augmentation ;
- en demeurant en poste, elle a mis toute l’administration Plante dans l’embarras. De plus, elle a attiré l’attention de journalistes vers les comptes de dépenses de la mairesse. Celle-ci a dû rembourser l’achat de bouteilles de vin lors d’une mission à l’étranger ;
- elle ne s’est pas excusée. Il y avait des règles à l’OPCM et elle les a respectées, dit-elle. Elle a affirmé que ce sont des propos misogynes et racistes à son endroit qui l’ont incitée à démissionner.
Une série d’affirmations qui lui ont nui
- à propos de sa gestion : « la perception que le public en avait à partir d’une lecture incomplète et décontextualisée ». Il n’existe pas de contexte qui justifierait un repas d’huitres à 347 $ à Paris, un dimanche avec un ami, puis remboursé par des fonds publics. La preuve, c’est que Mme Ollivier a remboursé cette dépense il y a quelques jours… après avoir démissionné ! ;
- à propos des médias : Ils en ont tiré leur propre conclusion. Ils en ont compris que l’Office était un machin inutile, un lieu de copinage, une agence de voyages où les dirigeants se paient des destinations exotiques sans raison sur le bras des contribuables. Ils ont identifié trois coupables et les ont donnés en pâture à la vindicte populaire. Les dépenses sous sa présidence et celles survenues par la suite sous Isabelle Beaulieu – des réunions à répétition dans de chics restaurants de Montréal, des missions à l’étranger suivies de rapports inutiles, des écouteurs à 900 $, des écrans de 85 pouces, etc. – ont été amalgamées dans l’imagination populaire et ont choqué. Ici aussi, il n’existe pas de contexte pour les justifier;
- à propos des réunions dans de chics restaurants : La fréquence des sorties au restaurant avait diminué avec l’arrivée de la pandémie. (…) On a commencé à travailler de plus en plus en télétravail. On n’avait plus autant besoin de se voir en personne. Ne plus pouvoir aller au restaurant avec un compte de dépenses… quel drame !
- à propos de l’avertissement de la vérificatrice générale, dès 2017, envers les dépenses de transport et de restauration de l’OCPM, madame Ollivier avait
affirmé qu’un contrôle plus serré était «inapproprié». Mais aujourd’hui, une fois limogée à Montréal, elle souhaite une « modernisation » de la gestion…
Afin de se démarquer en gestion, il faut non pas « suivre les règles », mais oser les remettre en question et les adapter à l’acceptabilité sociale… quitte à se priver de bons repas !
À retenir :
Puisque la société est nouvelle à tous les jours, il est essentiel – peu importe la situation – de « lire » les changements continuels de perception des publics et de prendre des décisions appropriées, plus tôt que tard…