Gestion de crises

« Please leave us alone »

Par Pierre Gince, PRP, ARP, FSCRP   |   24 septembre 2010

Steve JobsQuelle entreprise peut se permettre d’envoyer promener un seul client ? Aucune. Pas même Steve Jobs, d’Apple, qui en a 300 millions.

Répondre à un courriel de la part d’un consommateur nécessite seulement quelques minutes – même dans une PME. Chez Apple, où tout est démesurément gros, c’est très complexe, au point d’être devenu un « enjeu de réputation à travers le monde ! » Et une illustration, hélas, de la vraie nature de la culture de l’organisation.

Le tout débute il y a quelques jours avec une étudiante en journalisme de la Long Island University. Celle-ci a un travail à faire sur l’implantation éventuelle et obligatoire des IPad comme outil de travail pour les étudiants de son institution. Elle a le réflexe de poser quelques questions au service des relations publiques d’Apple. Six tentatives, aucune réponse.

Même si l’heure de remise de son travail approche, Chelsea Isaac lance une bouteille à la mer à sjobs@apple.com, une adresse diffusée publiquement.

La pièce de théâtre

  • Chelsea, ingénue: “Mr. Jobs, I humbly ask why Apple is so wonderfully attentive to the needs of students, whether it be with the latest, greatest invention of the company’s helpful customer service line, and yet, ironically, the Media Relations Department fails to answer any of my questions which are, as I have repeatedly told them, essential to my academic performance. »
  • Steve, contrarié, 30 minutes plus tard: “Our goals do not include helping you get a good grade. Sorry.”
  • Chelsea, tout de suite: « I never said that your goal should be to « help me get a good grade. » Rather, I politely asked why your media relations team does not respond to emails, which consequently, decreases my chances of getting a good grade. But, forget about my individual situation; what about common courtesy, in general – if you get a message from a client or customer, as an employee, isn’t it your job to return the call? That’s what I always thought. But I guess that’s not one of your goals.”
  • Steve, visiblement irrité: « Nope. We have over 300 million users and we can’t respond to their requests unless they involve a problem of some kind. Sorry.”
  • Chelsea, bouleversée: “You’re absolutely right, and I do meet your criteria for being a customer who deserves a response:
1) I am one of your 300 million users.
2) I do have a problem; I need answers that only Apple Media Relations can answer.
Now, can they kindly respond to my request (my polite and friendly voice can be heard in the first 5 or 10 messages in their inbox). Please, I am on deadline.”
  • Steve donne le coup de grâce : “Please leave us alone.”

La preuve qu’aucun courriel n’est anodin…

Aucune entreprise – même lorsque l’une d’elles se targue d’avoir 300 millions de clients – ne peut se permettre d’agir ainsi.

Toute question méritait déjà d’être traitée rapidement dans « l’ancien temps ». Et l’impact des réponses, aujourd’hui et demain – avec la poussée exponentielle des nouveaux médias, blogues, Twitter et tutti quanti – peut prendre des proportions inimaginables… à la vitesse de l’éclair !

Imaginez : en quelques heures, un seul courriel qui a semblé anodin à l’équipe des relations médias de la « présumée parfaite Apple » est devenu une manchette dans les principaux quotidiens et bulletins télévisés à travers les États-Unis !

Des leçons à retenir

Qu’est-ce qui a fait déraper la situation ? Plusieurs facteurs, dont les suivants :

Steve Jobs a commis quatre erreurs :

    • ne pas avoir institué dans son entreprise une politique de réponse à 100 % aux courriels reçus
    • ne pas avoir relayé le premier courriel de Chelsea Isaac à son équipe de relations médias, en exigeant une réponse courtoise et expresse
    • avoir eu une réaction épidermique à ce qui est, somme toute, une gentille démarche d’une cliente !
    • continuer à se positionner comme « l’artisan devenu géant mais qui demeure accessible » : c’est le «Steve Job’s Office» qui devrait répondre à ses courriels (et ceci, clairement mentionné)
  • Les médias sociaux permettent aux consommateurs de s’exprimer à propos de tout et de rien, et notamment envers les marques – surtout les plus importantes
  • Les médias traditionnels ont clairement démontré qu’ils s’alimentent maintenant, et de plus en plus, dans l’univers des nouveaux médias – un incontournable carrefour pour prendre le pouls, instantanément, des humeurs des gens à propos des marques.

Je serais curieux de savoir si Apple a mesuré l’impact économique négatif de toutes ces retombées sur la marque…

Répondre, c’est pourtant si simple !

Ce qu’il faut faire est pourtant si simple, tant pour Apple que pour toute organisation, même la plus petite :

  1. Faire l’inventaire parmi la très grande variété des questions récemment posées par des gens (avec leur chapeau de consommateur, de citoyen, d’étudiant, d’actionnaire, etc.)
  2. Ajouter d’autres questions qui pourraient survenir, notamment sur des enjeux sensibles (et particulièrement celles que l’on ne souhaite pas se faire poser !)
  3. Préparer des réponses claires et limpides, sans dévoiler de renseignements de nature stratégique
  4. Attribuer la responsabilité de répondre (au téléphone et par courriel) à une personne empathique, disponible et motivée par ce défi (ce n’est pas une « tâche » !)
  5. Répondre verbalement ou par écrit, et ce, rapidement (du moins accuser réception afin de donner signe de vie) et trouver les compléments de réponse si nécessaire.

La morale de cette histoire : investir dans la réponse aux gens est toujours moins coûteux et dommageable que de s’exposer aux dérapages !